SAMAYA x NUORREK

TRAVERSÉE HIVERNALE DU SAREK EN AUTONOMIE

 

 
Après une première grande expédition en combo voilier et alpinisme, Thibault et Loïc se lancent dans la grande traversée hivernale du Sarek, emmenant avec eux Guillaume, Basile et Mickaël, amis de longue date. Pour nous, ils reviennent sur les kilomètres dans le blanc immaculé, le froid, l’isolement et la camaraderie.
 
« Ça faisait déjà deux ans que nous avions repéré le parc du Sarek. Il nous a attiré parce qu’il y a très peu de civilisation, c’est un endroit sauvage. Plusieurs expéditions y ont déjà eu lieu, mais ça reste assez marginal au tout début de l’hiver, car les skis et les pulkas ne peuvent pas passer, les lacs n’étant pas encore gelés.
 
Notre idée, c’était de pouvoir faire la première trace hivernale de la saison, ouvrir la voie d’hiver.
 
Notre unique inquiétude était que les lacs ne soient pas encore complètement gelés. Les passerelles installées l’été pour traverser les cours d’eau sont démontées l’hiver, rendant difficile la traversée du parc. Dans le doute, nous avons emporté des chaussons de surf avec nous, pour traverser ces cours d’eau à 0° C.
 
Arrivés à Jokkmokk, la dernière petite ville avant l’entrée du parc, nous avons été accueillis comme des princes, avec de magnifiques aurores boréales. Une chute drastique des températures nous a surpris, passant de 0° C à -25° C, à seulement 100 mètres d’altitude. On a profité de ces derniers instants de civilisation pour récupérer quelques dernières affaires chaudes.
 
Nous avions tracé un itinéraire initial sur 7 jours, d’une centaine de kilomètres, avec nos sacs de 20 kilogrammes sur le dos. On cheminait en raquette, moyen le plus adapté pour nous déplacer dans ces conditions. Seulement, nous n’avancions pas comme nous l’avions prévu. Dès que l’on mettait du poids sur nos raquettes, on s’enfonçait de 50 centimètres, ce qui nous ralentissait et nous fatiguait. On se relayait pour faire la trace et pour que chacun puisse garder de l’énergie. Nous progressions à une moyenne de 2 kilomètres par heure.

 

 
Le premier jour, on a parcouru 20 kilomètres, en marchant 10 heures sans discontinuer et sans prendre le temps de déjeuner. On a un peu pris peur, car sur cette section, nous étions dans un grand espace sans obstacle. La suite prévoyait une soixantaine de kilomètres « hors sentier » dans lesquels on pouvait se retrouver dans une forêt de bouleaux, avec des arbres tous les 20 centimètres qui rendent difficile l’orientation et ralentissent sérieusement la progression. Plus on s’enfonçait, moins les possibilités de nous secourir en cas d’accident existaient. A cette période de l’année, les motos neige ne peuvent pas passer, car la couche de neige est encore trop légère et pourrait s’effondrer en laissant place aux marécages non loin dessous.
 
Au bout de cette première journée, nous avions grimpé quelques centaines de mètres au total, dans une atmosphère grise, entourés uniquement de neige et de sapins.
 
La deuxième étape promettait plus de dénivelé pour accéder à un autre plateau. Nous nous sommes levés très tôt, pour nous assurer de pouvoir parcourir tous les kilomètres prévus et en essayant de nous arrêter déjeuner dans un petit cabanon non gardé. Répéter notre première journée était impensable, nos organismes n’auraient pas tenu sur l’ensemble de l’expédition. Nous sommes finalement arrivés plus tard que prévu au cabanon, vers 14h30. La vue au-dessus de la brume était imprenable, c’était magnifique de prendre de la hauteur et de découvrir l’étendue du parc. Nous avions réalisé une quinzaine de kilomètres, soit cinq de moins que ce que nous avions prévu. La nuit tombait dans deux heures. Si nous nous arrêtions pour déjeuner, nous ne pourrions pas repartir.
 
S’arrêter pour manger prend énormément de temps, plus qu’il n’y parait. Nous avons eu un gros problème d’eau que nous n’avions pas anticipé. Lorsque nous récupérions de l’eau des ruisseaux, elle gelait dans nos gourdes au bout d’une heure. Pour nous faire à manger, il fallait que l’on fasse fondre la neige pour avoir assez de volume d’eau dans notre casserole, ce qui représentait au moins quinze répétitions de fontes de neige dans le récipient, soit un moment très long.
 
Nous étions fatigués et avons décidé de nous arrêter là pour la journée et de repenser notre itinéraire. Afin d’éviter les forêts, nous avons repéré un immense lac qui, s’il n’était pas gelé, pouvait se traverser par des barques laissées à disposition et s’il était suffisamment gelé, pouvait se traverser à pied. Un entre-deux aurait annihilé toute possibilité de passage.

 

 
Nous partons donc au matin du 3ème jour, avec un lever de soleil incroyable, une vue dégagée et une mer de nuages nous sortant de la grisaille des deux jours précédents. On a eu énormément de chance avec les conditions météo. Habituellement, il fait extrêmement froid et le climat est tempétueux. Nous avons réussi à avoir quelques jours de beau, moins de vent que la moyenne et les températures de nuit ne descendaient pas en dessous de -20° C. La journée, elles oscillaient entre -5° C et -15 °C, ce qui était correct puisque nous étions en mouvement.
 
Arrivés au lac, nous sommes heureux de découvrir qu’il est gelé. Nous donnons immédiatement des coups de piolets pour déterminer l’épaisseur de la glace, qui doit faire 15 centimètres pour que nous puissions y poser nos pieds sans danger. Pour s’assurer de la profondeur, nous nous servions d’une petite cuillère comme étalon, utilisant la gradation sur le bord des sacs de lyophilisés pour avoir une idée des centimètres. Notre étalon-cuillère nous a rassuré en s’enfonçant dans la glace : nous pouvions passer. Nous répétions l’opération au fur et à mesure de notre traversée et sommes passés de l’autre côté sans encombre.
 
A la fin de cette étape, nous refaisons un point carte. Nous avions repéré un sommet emblématique de la vallée non loin. Nous décidons d’y aller le lendemain. Sur la route, nous avons la chance et le plaisir de croiser des lagopèdes.
 
Nous avons installé notre bivouac sur une zone relativement plate où nous avons pu nous délester de nos affaires et faire ce sommet en étant légers. Au fur et à mesure de notre ascension, le temps se dégageait et nous avons parcouru les derniers mètres avec le soleil, ce qui était incroyable. Nous avons marché dans des traces de loups et de gloutons. En redescendant vers notre bivouac, nous avons observé une horde de rennes en mouvement, c’était hyper impressionnant. Nous nous sommes doucement approchés, tout en gardant une distance raisonnable pour ne pas les effrayer car sinon ils se mettent à courir jusqu’à n’en plus pouvoir. Durant l’hiver, ils peuvent courir de la sorte jusqu’à quatre fois maximum pour échapper aux prédateurs. Après ces quatre fois, ils n’ont plus ni l’énergie ni les ressources physiques nécessaires pour le faire. Nous jouissions de ce spectacle avec, en prime, l’intégralité du ciel teinté de rose.

 

 
 
On a vraiment eu de la chance le matin au bivouac : nous étions tranquillement dehors, sans vent, à faire dégeler nos chaussures au réchaud, après avoir passé une superbe nuit reposante dans nos tentes Samaya3.0 et Samaya2.5.
 
Le lendemain, nous avons marché dans un mélange de brouillard et de blanc, brouillant la limite entre la terre et le ciel. Il n'y avait rien. Excepté un unique caillou.
 
A ce moment-là, toute l’équipe se sent bien physiquement et moralement. Sauf Basile qui a été un peu malade. Nous avons rebasculé sur le plateau et avons entamé une traversée en essayant d’adopter un rythme rapide. Nous nous sommes arrêtés au bord d’un lac gelé à 14 heures pour déjeuner et essayer de pêcher. Malgré tous nos efforts, nous avons encore mangé nos lyophilisés ce soir-là, au coin du feu. La nuit est tombée, laissant derrière elle un ciel violet et rose. Assis au cœur des montagnes, nous observions une lune gigantesque se lever. A ce moment-là, tout était parfait. Nous étions bien adaptés à notre milieu, nos vêtements et notre matériel. Mais la fin de l’aventure était déjà proche !
 
Pour notre dernière journée, nous redescendions en altitude. Il restait beaucoup d’incertitude car nous allions traverser des segments de moins en moins gelés et nous ne voulions pas nous retrouver les pieds dans l’eau. Nous sentions la glace craquer sous nos pieds. Celui qui marchait en tête faisait office de démineur : c’était à celui qui trouvait le meilleur passage. On se relayait toutes les 15 minutes pour faire la trace, afin d’avancer rapidement. Nous avons parcouru 20 kilomètres en une matinée. Nous étions dans les traces fraîches d’ours et d’élan et redoublions de vigilance. Nous sommes finalement tombés sur une famille d’élan non loin de là.
 
Après les 20 kilomètres, il nous en restait encore 10 pour rejoindre la voiture. Nous avons croisé un Sami, éleveur de rennes, en train de bricoler sa motoneige, très étonné de nous voir par ici et par ces températures : lui-même n’avait pas encore traversé le parc en ce début de saison.

 

 
De retour dans la voiture, nous avons réalisé à quel point nous nous réhabituons vite au confort. En à peine une heure, nos corps était réchauffés et avaient relâché la pression. Dès que nous sortions de la voiture, nous étions frigorifiés en deux minutes, alors que nous venions de passer 10 jours dehors à -20° C.
 
Seule la chaleur de nos cœurs importait : nous étions heureux de cette aventure hivernale et de tous ces moments partagés ensemble. »

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