SAMAYA x ALESSANDRO BEBER

TENTATIVE DANS LA FACE EST DU CERRO TORRE

 

 
Alessandro Beber et ses compagnons de cordée se sont lancés à l’assaut d’une nouvelle voie au Cerro Torre, après avoir accepté l’invitation d’Elio Orlandi, amoureux inconditionnel de la région. Elio a réalisé de nombreuses ascensions, dont beaucoup sont des ouvertures, la plus célèbre étant probablement "Linea di Eleganza" en 2004 sur la face nord est du Fitz Roy. Alessandro nous raconte son expérience en Patagonie et fait l’éloge de la patience et de la lenteur, adepte convaincu de l’enseignement d’Elio.
 
« Âgé de 70 ans, Elio Orlandi, vétéran passionné de la Patagonie, m’a invité à le rejoindre pour son expédition au cœur du continent sud-américain. Depuis 1982, il y retourne chaque année au moins une fois par an. A l’époque où El Chaltén n’existait pas tel qu’on la connaît aujourd’hui, Elio y a installé sa maison, bien qu’aucune route ne permettait alors d’atteindre l'endroit où se trouve maintenant ce village. Elio est un véritable expert de la région, connaissant les montagnes sur le bout des doigts et relatant les fabuleuses histoires d’expéditions se cachant derrière chaque ligne.
 
Le projet dans lequel nous nous sommes embarqués est né 20 ans plus tôt, sur la face est du Cerro Torre. Cette ligne compte parmi les plus grands rêves d’Elio. Malheureusement, après quelques années, il a perdu son compagnon de cordée lors d’une redescente. Pendant de nombreuses années après cet accident tragique, il n’a plus voulu entendre parler de cette voie.

 

 
L'année dernière, il a choisi de s’y rendre à nouveau, pour honorer la mémoire de son ami en atteignant le sommet de ce mur de 1200 mètres de haut, vertigineux à couper le souffle. Cette expédition ne faisait alors pas partie de mes projets, mais son invitation était de celle qu’on ne peut pas refuser.
 
Nous savions que le projet s’annonçait difficile et que nous aurions besoin de chance. Après tant d'années, il fallait presque recommencer l'ascension depuis le début, tant le matériel en place n’était plus fiable. On ne pouvait faire confiance ni aux pitons, ni aux sangles et encore moins aux cordes fixes en mauvais état.

 

 
Avant de pouvoir démarrer, nous avons creusé une grotte de neige dans un coin abrité du vent, où nous avons installé notre bivouac. Nous sommes restés 13 nuits à attendre que le mauvais temps tarisse pour nous élancer dans la voie. Pour Elio, cette façon d’appréhender l'approche est normale : il l’a toujours fait ainsi. Pourtant, nous étions les seuls alpinistes à procéder de cette manière. Habituellement, tout le monde patiente à El Chaltén puis se rue vers les parois lorsque les prévisions météo le permettent. Pour nous, chaque demi-journée avec moins de vent et un temps acceptable était une opportunité de grimper un peu plus haut.
 
Nous étions animés par cette volonté d’utiliser toutes les chances qui s’offraient à nous. Patienter deux semaines dans une grotte de neige reste tout de même une expérience singulière. Le travail d’équipe s’y révèle impératif et les frustrations individuelles n’ont pas leur place au sein du groupe. Malgré le mauvais temps, notre bonne entente et la passion partagée de l’alpinisme nous ont beaucoup appris et ont fait de ces moments suspendus dans le temps des instants précieux.
 
Enfin, nous avons bénéficié d’un créneau météo favorable s’étalant sur trois jours. C’est le mieux que nous avons eu en deux semaines, alors nous nous sommes lancés pour l’assaut final. La paroi immense est aussi époustouflante que dangereuse. Les champignons de glace menacent de se décrocher à tout moment, le vent nous frigorifie et dès que la température s’élève, la neige fond et chute brutalement. A chaque heure, l’environnement évolue de façon imprévisible. Sur la paroi, nous avons trouvé refuge au cœur d’endroits sûrs que nous avons rejoints rapidement, évitant de rester exposés trop longtemps sur la paroi entre ces zones de « sécurité ».

 

 
Malgré tous nos efforts, le créneau était trop court. Après deux nuits passées sur la paroi, nous avons dû rebrousser chemin, contraints par le mauvais temps. Nous avons eu la chance d'essayer, mais pas celle de réussir. Nous avons aimé nous surpasser, mais nous n’étions pas prêts à risquer nos vies. Parfois, la montagne dit clairement « non » et il faut savoir l’écouter. Nous avons ramené chez nous des moments de vie mémorables, après être restés plus de dix jours dans une caverne de glace, savourant le lent alpinisme d’un temps passé depuis longtemps. »

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