SAMAYA x MORGAN BADUEL

RÉFLEXIONS SUR LA PRATIQUE EN MONTAGNE

 

 
Morgan Baduel, formateur au sein d’une entreprise d’ingénierie, incarne l'essence même de la passion pour la haute montagne. Confirmé et aguerri dans les disciplines exigeantes que sont la cascade de glace, l'alpinisme ou encore le parapente, Morgan nous dévoile les motivations profondes qui le guident dans ces environnements extrêmes. Sa pratique, aussi rigoureuse que poétique, reflète une quête incessante de dépassement de soi et une communion harmonieuse avec les éléments naturels. Découvrez les facettes multiples de Morgan, dont l'engagement et la vision enrichissent et transcendent l’unique pratique sportive.
 
« Ma pratique de la montagne demeure aujourd’hui profondément hétéroclite.
 
Enfant, avec mes parents, nous faisions de la randonnée dans le massif du Cantal. Peu à peu, le regard s’est porté ailleurs, capté par les arêtes de ces douces montagnes qui graduellement au gré de l’hiver réalisaient leur mue pour s’affiner, s’englacer, jusqu’à devenir inhospitalières. Les silhouettes changeaient et c’est équipé de crampons, piolets et skis de randonnée que la suite se déroulait.
 
Depuis 2012, je vis dans la vallée de Chamonix et j’ai pu parcourir de beaux itinéraires sur les faces nord des Alpes et des Pyrénées. L’escalade sur glace et le mixte ont toujours occupé une place singulière dans ma pratique. Évoluer sur une matière éphémère possédant une saisonnalité et une plasticité protéiforme m’a toujours magnétisé. L’adaptation est permanente, il faut être au rendez-vous, la glace ne nous attend pas.
 
Soucieux d’évoluer dans mon rapport à la montagne, j'ai démarré depuis peu le parapente. Après 15 années d’alpinisme, le moment me semblait bien choisi. L’évolution de l’équipement et des matériaux y est pour beaucoup. Aujourd'hui, malgré un travail de formateur à temps plein dans une entreprise d’ingénierie, je réussis encore à avoir une pratique amateure qui me passionne.

 

 
Avant, grimper équipé en mode ultra light rimait avec vitesse mais surtout avec vulnérabilité en cas d’imprévu. De nos jours, le delta entre ces deux points s’est profondément réduit. Chaque fabricant développe ses gammes light pour offrir aux pratiquants une meilleure expérience de la montagne. Cela permet d’emporter soit davantage de matériel, soit d’augmenter la vélocité, ou simplement de réduire le poids et in fine l’effort.
 
À l’aune des évolutions techniques, le light n’est plus réservé à des spécialistes. En effet, l'ergonomie et la durabilité des produits se sont accrues, le confort aussi.
 
J’ai pris le virage du light en 2010 en pesant les différents éléments présents sur mon harnais. Puis en cascade les broches hybrides acier / aluminium se sont généralisées et permettent aujourd’hui de réduire l’effort lors d’envolées verticales soutenues.
 
En ski alpinisme, l’usage de chaussures 100% carbone combiné à des skis de course a ouvert des portes incroyables en termes de vitesse et de distance.
 
Les tissus ont muté. La généralisation du Dyneema® avec sa formidable résistance à la traction a permis de repenser nombre d’éléments comme les harnais, sacs à dos, élévateurs en parapente, connecteurs softlinks et bien d’autres. Le tissu de ma voile de parapente pèse 25 grammes au mètre carré. En vol, ma vie repose sur 1,3 kilogrammes de textile, ce qui est assez incroyable et bluffant !
 
Malgré ces avancées notables, il ne faut pas perdre de vue que le light vient en complément d’un niveau de base et d’une expérience certaine.

 

 
J’ai démarré l’alpinisme il y a 15 ans avec un ancien du GMHM. À travers ses enseignements, j’ai retenu qu’il fallait entretenir et déployer un maximum d’efficacité avec un minimum de matériel. La qualité de ce dernier permet de renforcer la cordée ou sa vélocité, mais demeure un complément. Aujourd’hui, que nous soyons novices ou experts, nous comptons tous les grammes. Le poids gagné est de l’énergie économisée et du plaisir en plus en altitude.
 
L’essentiel de mes sorties en escalade / alpinisme se concentre aujourd’hui dans les Alpes. Je refuse de prendre l’avion pour aller grimper à l’étranger. Je suis persuadé que nous avons sous la main suffisamment de matière pour assouvir nos passions.
 
Je garde un souvenir précieux de ma première visite en face nord des Grandes Jorasses il y a presque 15 ans. Parti avec mon ami Gaylord Dugué, aujourd’hui professeur à l’ENSA, nous visitions enfin cette face. Notre imaginaire d’alpiniste s’était confronté à la réalité de cette montagne austère, qui aujourd’hui encore entretient mes aspirations les plus profondes.
 
Nous avions jeté nos forces dans l’éperon Croz à une époque où les conditions de glace n’étaient pas encore trop malmenées par le dérèglement climatique. Rapidement après s’être engagés dans la ligne, une chute de glace dans la nuit pulvérise mon casque (et érode considérablement mon moral). S’en suit jusqu’à la moitié de la face une escalade léthargique dans un état second me concernant. Gaylord fera preuve d’un leadership exemplaire. Bien que nous ayons parcouru en réversible la voie, le succès et l’efficacité de la cordée reposa sur lui.

 

 
Cette journée m’a fait prendre conscience que l’alpinisme technique est une activité à « maturation longue », et que nous pouvons être traversés par de profonds décalages entre ce que nous pensons être, ce que nous voulons être et ce que nous sommes réellement. Cette course m’a révélé nombre d’entre eux et a servi de référentiel afin d’ajuster et de recalibrer les curseurs.
 
Je n’ai jamais été très mystique, mais je trouve qu’une force singulière se dégage de cette paroi. Je la surnomme depuis toujours le temple. Il faut à chaque fois tout mettre à plat, être parfaitement aligné avec soi-même en pleine conscience.
 
La pratique de l’alpinisme / escalade est un exutoire privilégié ; il s’agit d’une mutation permanente. Elle permet via un décadrage vertical - induit par ces montagnes - un réalignement intérieur.
 
Certains de l’extérieur parleraient de névroses, ce qui n’est pas totalement faux. Nous avons tous notre part de mystère, de lumière, de misères. Grimper peut permettre de traverser le temps autrement, rythmé par la saisonnalité de la neige au sein d’un univers minéral rude.
 
Néanmoins, bien que l’esthétisme de cette activité soit indéniable, il ne faut pas perdre de vue son impact que nous devons aussi questionner et mettre en perspective aujourd’hui avec un monde altéré intrinsèquement par le dérèglement climatique.
 
Cet hiver, la saison de cascade de glace a été inexistante dans les Alpes. Les structures glacées ont subi une fibrillation thermique mettant à mal les projets des pratiquants.
 
Comme évoqué précédemment, je ne prends pas l’avion pour mes loisirs. Il y a aujourd'hui un antagonisme profond entre vouloir préserver le vivant et voyager à l’autre bout du monde pour assouvir une passion.
 
Résoudre cette équation s’avère délicat sans froisser les pratiquants ; pourtant, quelles que soient les opinions, il faudra réellement poser cette problématique sur la table. Nos loisirs ne justifient pas tous les impacts. »

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